Le goût des livres
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Bon dimanche
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De thé et d'amour
"Le thé a cette incidence sur le temps : il donne aux gestes la durée qui leur est due et aux choses le temps d'arriver, de suivre leur cours. C'est un temps différent de celui, parfois erratique, de nos habitudes.
Ainsi, quand on puise dans la bouilloire ou le pot à eau fraîche, on ne secoue pas l'écope pour faire tomber plus vite la dernière goutte : on attend qu'elle tombe. Et si on verse l'eau en petit filet et avec délicatesse, on est récompensé par le chant qu'elle produit, si simple, si pur qu'on croit entendre l'écho d'un murmure primal de la nature".Actuellement, je n'avance pas vite dans un pavé de 700 pages. En attendant, je vais mettre à jour les billets pour des lectures plus courtes faites récemment.
D'Hubert Delahaye j'ai déjà lu deux titres délicieusement japonais, aussi n'ai-je pas hésité à continuer avec cette histoire de thé, délicate et pudique.
Dans les années 70, un jeune étudiant français installé à Kyoto s'initie à l'art du thé chez Madame Yamamoto.
"Des pas glissent sur les tatamis et Yamamoto Sensei débouche de la petite cuisine dans un kimono bleu cobalt à fines rayures noires, la coiffure sobre et impeccable, le visage légèrement pouponné, le sourire sans exagération et les yeux qui ne se posent pas sur moi tout de suite parce que cela ne se fait pas".
Le jeune homme suit les gestes de Madame Yamamoto avec sérieux et minutie, attentif à ne pas commettre d'impairs. Il est encore maladroit mais progresse dans le silence et le calme requis
Dans cet univers discret et feutré arrive une jeune fille Ichie, désireuse elle aussi de prendre des leçons. Les deux jeunes gens vont se sentir attirés l'un vers l'autre, sans savoir d'abord comment s'aborder.
Ichie commet l'erreur d'emmener l'étudiant chez sa soeur, tout en le mettant en garde. Elle serait "dérangée".
Le narrateur passe un bon moment, sans toutefois comprendre quel jeu se déroule. Entre son ignorance des codes de conduite japonais et l'attitude des deux soeurs, il navigue un peu à vue.
Il y aura des revirements, des crispations, sous le regard tour à tour bienveillant ou sévère de Madame Yamamoto, témoin malgré elle de l'amour naissant entre ses élèves.
Rien de spectaculaire dans ce roman, vous l'aurez compris, la bienséance prime avant tout, et il ne faut pas laisser les émotions gâcher le rituel du thé.
C'est une lecture apaisante, instructive sur l'art du thé. L'amour finira-t'il par y trouver sa place ? On peut compter sur la finesse de l'auteur pour y arriver en douceur.
Un court roman assez hypnotique qui va rejoindre les deux autres sur l'étagère des perles à relire.
Sur le blog : Lettres d'Ogura - Fantômes d'Ogura
L'avis de Plumes d'Anges Manou
Hubert Delahaye - De thé et d'amour - 112 pages
L'asiathèque - 2021 -
Bon dimanche
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Le sentier dans la montagne
"Tiburius Kneigt, jeune et riche héritier, a eu le malheur de grandir dans une famille d'excentriques. Ses parents décédés, il se trouve à la tête d'une confortable fortune, mais plongé dans une grande solitude : il consacre en effet toute son énergie à se persuader qu'il est gravement malade, et que sa seule occupation doit être de traiter un mal d'autant plus mystérieux qu'il n'existe pas vraiment" (4e de couverture).
J'ai eu un coup de coeur pour ce très court roman, choisi sur son titre. Tiburius pourrait être un personnage rapidement agaçant, or, il n'en est rien et son lent cheminement vers un retour à une vie pleinement vécue nous est si bien contée que les pages se tournent toute seules.
Le voir se torturer avec des maux imaginaires et s'abîmer dans une solitude délétère fait craindre plutôt pour sa santé mentale. Il cherche des solutions, sans les trouver et rejette fermement les suggestions de mariage qui peut-être ..
C'est une cure thermale, énième tentative d'améliorer sa santé qui va faire basculer sa vie de manière inattendue. Pas grâce aux soins, mais par la découverte de la montagne et du plaisir de s'y immerger.
"Le promeneur suivait le sentier, distrait par tout ce qu'il rencontrait. Ici les boules de corail de la canneberge flamboyaient à côté de lui, ailleurs la myrtille dressait son feuillage luisant et ses baies violacées. Les arbres se resserraient, le sous-bois devenait plus touffu avec, çà et là, l'éclat lumineux d'un tronc de bouleau. Le sentier continuait sans changer d'aspect mais peu à peu, cependant, la sapinière s'assombrit, se resserra, une brise plus fraîche siffla dans les branches et incita Tiburius à rentrer de crainte d'un refroidissement".
La rencontre avec l'autre, en l'occurrence une jeune fille simple et joyeuse, grande connaisseuse de la montagne et vivant avec son père, va faire accepter à Tiburius ce qu'il fuyait auparavant, le partage, une vie simple au plus près de la nature, le respect de ce qu'elle nous offre et le bonheur d'y avoir accès au quotidien.
C'est un texte ou l'on prend son temps, d'où il se dégage une impression paisible, malgré la noirceur des pensées de Tiburius, en tout cas en première partie. C'est du moins l'effet qu'il a eu sur moi et je compte continuer avec l'auteur.
"Notre ami ne manqua pas de retourner au petit chalet niché dans la colline et renouvela ses visites à plusieurs reprises, laissant invariablement sa voiture au même endroit sur la route. Il se plaisait à deviser avec le père de Maria et passait de longs moments en sa compagnie, assis sur le banc devant la porte tandis que la jeune fille s'occupait dans la maison, ou à côté d'eux, abritant ses yeux derrière sa main, observait le ciel ou la montagne tout en se mêlant à la conversation".
La biographie d'Adalbert Stifter ici
Adalbert Stifter - Le sentier dans la montagne - 80 pages
Traduit de l'allemand par Germaine Guillemot-Magitot
Editions Sillage - 2017 -
Bon dimanche
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Bon dimanche
A l'invitation de Francis Cabrel, 9 chanteurs de langues régionales (basque, breton, occitan, catalan, créole, corse, alsacien) issus en majorité des Rencontres d'Astaffort, se sont rendus dans le studio du Boiron pour trois jours d'un enregistrement pas comme les autres. La chanson a été écrite à l'occasion du documentaire "Une langue en plus" (France-Télévision).
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Le jardin sur la mer
"Regardez le jardin, regardez comme il est. Pour en sentir la force et le parfum, c’est la meilleure heure. Regardez les tilleuls … Vous voyez comme les feuilles tremblent et nous écoutent ? Vous riez … Si un jour vous vous promenez la nuit sous les arbres, vous verrez tout ce qu’il vous racontera, ce jardin …"
La couverture, le titre, je ne pouvais que me laisser tenter par ce roman d'un grande autrice catalane, inconnue (de moi) jusqu'alors.
Le coeur de l'histoire est donc le jardin d'une propriété au bord de la mer et le récit de six étés passés là, dans les années vingt, par le jeune couple qui a acheté la maison.
Ils sont riches, heureux, ne regardent pas à la dépense et le jardinier est content de pouvoir continuer à déployer tous ses dons et ses soins à ce jardin qui lui est si cher. Il y est depuis longtemps et y a vécu avec sa femme, disparue maintenant. Tous ses souvenirs sont là.
Le couple reçoit beaucoup, s'amuse, se baigne et tôt ou tard vient rendre une petite visite au jardinier, qui écoute patiemment les uns et les autres, l'essentiel étant qu'ils n'abîment pas son jardin.
L'arrivée d'un nouveau voisin tout aussi riche vient troubler un peu la quiétude du lieu. Les deux propriétaires vont-t'ils entrer dans une forme de compétition à celui qui dépensera le plus ?
Nous pressentons déjà qu'un drame va avoir lieu, mais quand et lequel ?
Avec ce roman, je découvre une très belle plume, ici plutôt contemplative. La vie du jardin est superbement restituée, la beauté du lieu palpable. Un charme certain se dégage de cette histoire.
Mais voilà, il s'en dégage aussi un certain ennui. Ce n'est pas passionnant la vie de riches oisifs. Peut-être parce que nous n'approchons l'histoire que par le seul prisme du jardinier. Tout est feutré, à peine suggéré, les personnages restent lointains et évanescents.
Le style de l'autrice m'a cependant suffisamment plu pour que je tente de futures parutions. Les Editions Zulma annoncent deux autres titres inédits en France. "Le jardin sur la mer" a été édité une première fois en 1967.
L'avis de Alex Céciloule Géraldine
Mercè Rodoreda - Le jardin sur la mer - 256 pages
Traduit du catalan par Edmond Raillard
Editions Zulma - 2025 -
Bon dimanche
Boston Civic Symphony
(Taichi Fukumura) -
La trilogie berlinoise
"Mais une nation en tant que telle ne peut ressentir de culpabilité, c'est à chacun de l'éprouver personnellement. Je pris soudain conscience de ma part de culpabilité, sans doute la même que celle de beaucoup de mes compatriotes : je n'avais rien dit, je n'avais pas levé le petit doigt contre les nazis".Depuis le temps que je voulais lire cette trilogie de Philip Kerr, voilà c'est fait. Trois romans regroupés en un seul volume de 1024 pages. L'action se déroule successivement en 1936, 1938, 1947, juste avant ou après la guerre.
J'avais déjà fait la connaissance du personnage principal, Bernie Gunther, avec le septième épisode "Vert de gris" quelques années plus tard, en 1954.
Bernie a fait partie de la police allemande lorsque l'on pouvait encore en être fier ; ne supportant pas ce qu'elle est en train de devenir avec l'arrivée des nazis, il a démissionné et est devenu détective privé, avant d'être réintégré pour les besoins d'une enquête.
L'aspect le plus intéressant de cette trilogie est sans conteste le fond historique sur la montée du nazisme, le bouleversement profond qu'il amène et les individus plus ou moins louches qu'il attire.
La première enquête "L'été de cristal" a pour décor les jeux olympiques de Berlin ; la deuxième "La pâle figure" confirme un peu plus l'imminence d'une guerre et la transformation de l'Allemagne ; la troisième "Un requiem allemand" se passe en grande partie à Vienne et traite davantage de l'espionnage qui se menait entre les quatre occupants du pays.
Je reconnais m'être perdue assez vite dans la quantité de personnages gravitant autour de Bernie. Par contre, la réalité du nazisme s'imposant par tous les moyens dans toutes les strates de la société est remarquablement décrite et fait froid dans le dos. C'est terrifiant.
Le personnage de Bernie est assez complexe et parfois ambigu. S'il veut rester en vie, il doit faire des concessions, mais il n'attire pas la sympathie. Pourtant, il s'efforce de préserver des valeurs, dans un environnement violent et dangereux.
Par ailleurs son comportement avec les femmes laisse beaucoup à désirer et c'est peu dire. Celles qui croisent sa route ne s'en sortent pas très bien en général. Il n'hésite pas à les utiliser en dépit des risques.
L'auteur mélange des personnalités connues, Himmler, Goering, Heydrich, à de parfaits inconnus, ce qui donne de la force au récit. Les guerres des chefs, les manoeuvres à qui aura le plus de pouvoir, sont bien décrites.
Je ne pense pas continuer la série, Bernie m'a laissée finalement assez indifférente, mais cette trilogie est addictive et me paraît importante à découvrir aujourd'hui où les sirènes de l'extrême droite se font entendre, avec des méthodes déjà éprouvées dans le passé et qui ont pourtant bien montré leur nocivité.
Avec cette trilogie je participe à trois challenges :
Les épais de l'été de Tadloiduciné chez Dasola
Le pavé de l'été chez Sybilline
Le pavé d'été chez Moka
Philip Kerr - La trilogie berlinoise - 1024 pages
Traduit de l'anglais par Gilles Berton
Le livre de poche - 2010 -
Bon dimanche
Roseaux III